« Apporter de la nuance là où règne le manichéisme pour désamorcer la polarisation »

30/12/2021, Bruxelles – L’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace (OCAM) appelle à désamorcer le débat toxique dans notre société. « Dans la mesure du possible, il faut autoriser les protestations et mener des efforts pour renforcer le dialogue et améliorer la communication. Si le débat devient trop toxique, ce n’est qu’une question de statistiques avant qu’une personne ne passe à l’action », déclare le directeur Gert Vercauteren dans une interview accordée à VRT NWS.

« Nous sommes vigilants, sans vouloir paraître alarmistes », affirme Gert Vercauteren, directeur ad interim de l’OCAM qui coordonne l’approche du terrorisme, de l’extrémisme et de la radicalisation.

Nous sommes assis dans une salle de réunion de la rue de la Loi, à une centaine de mètres à peine des rues où plusieurs manifestations contre les mesures sanitaires ont traversé Bruxelles ces dernières semaines. Pour la première fois, M. Vercauteren prend le temps d’aborder en détail une analyse de l’OCAM qui a été publiée début décembre. Dans cette analyse, l’OCAM met en garde contre « un climat d’agitation avec de nombreuses menaces ».

« Ces menaces proférées notamment à l’encontre de ministres et de virologues existent, et la police doit régulièrement effectuer des perquisitions », déclare M. Vercauteren, sans pouvoir ni vouloir nous en dire plus à ce sujet.

La liberté d’expression

« Seules les personnes aux idéologies extrémistes se retrouvent dans le collimateur de l’OCAM. Les manifestations, ni même les idées radicales ne sont problématiques, car elles s’inscrivent dans la liberté d’expression. Vous pouvez même adhérer aux théories du complot, pour autant qu’elles n’incitent pas à la haine et à la violence. Mais le ton sur les réseaux sociaux et dans la société devient plus acerbe et le climat dans certains groupes devient même toxique. Nous devons être vigilants à cet égard. »

« Des individus risquent de se radicaliser dans certains groupes, surtout en ligne, où ils sont constamment incités à passer à l’action contre l’injustice qui leur est faite. Nous constatons que cela se produit dans une petite partie de ce que nous appelons le contre-mouvement. »

L’OCAM surveille les éventuels processus de radicalisation et les services compétents interviennent en cas de menace pour notre société. Heureusement, la haine et la violence restent une exception.

Passer de « nous contre les autres » à « ensemble contre le virus »

« Il faut transpercer la dialectique du ‘nous contre eux’ », estime M. Vercauteren. « Il est temps de faire évoluer la rhétorique vers ‘Ensemble contre le virus’ plutôt que ‘Nous contre les autres’. Au Portugal, cette stratégie connaît un certain succès. C’est pourquoi il est utile de se concentrer sur une communication spécifique à destination de différents groupes cibles : les jeunes qui ne veulent pas se faire vacciner, le personnel soignant, etc. Ce n’est qu’ainsi que l’on parviendra à transpercer cette dialectique du ‘nous contre eux’ et à rétablir quelque peu le calme. »

L’OCAM collabore, entre autres, avec les villes et les communes dans la prévention de la polarisation et de la radicalisation. Les liens sont alors le mot clé. Les personnes qui commencent à se comporter de manière plus radicale sont souvent liées à des groupes qui exploitent la dialectique du ‘nous contre eux’. Mais dans le même temps, les liens permettent aussi aux individus de se retrouver. Les autorités locales sont les mieux placées pour mettre en œuvre des actions pour nouer des liens avec leurs citoyens.

Rechercher la nuance dans le contre-mouvement

« Nous devons transpercer la pensée manichéenne en apportant à nouveau de la nuance au discours. Et peut-être qu’écouter la critique contre certaines mesures est déjà un bon début. Je plaide pour plus de dialogue, avec les personnes qui sont touchées par la crise, comme le secteur de l’horeca, mais aussi avec des manifestants. Et une communication transparente qui permet de mieux comprendre pourquoi certaines mesures ont été prises. »

La question de savoir si nous nous rapprocherons à l’avenir dépendra en grande partie de l’évolution du virus et des mesures afférentes.

« S’il n’y a pas assez de soutien pour un éventuel renforcement des mesures, cela apportera probablement de l’eau au moulin du contre-mouvement », déclare M. Vercauteren. « Cependant, si une nouvelle crise majeure survient, avec un important impact sur les soins de santé, et que ceux-ci sont saturés, ce mouvement aura beaucoup moins de munitions. Tout dépend du scénario dans lequel on se retrouvera. Et nous ne pouvons le prévoir. »

L’OCAM n’a donc pas d’autre choix que de mettre en garde contre la forte opposition que pourrait engendrer une éventuelle nouvelle vague et les restrictions de liberté qui en découlent, ainsi qu’une forte réaction contre une éventuelle vaccination obligatoire.

« C’est un peu le danger quand le débat devient aussi toxique. Ce n’est alors qu’une question de statistiques avant que, tôt ou tard, quelqu’un ne décide de prendre les choses en main, pensant que ses actions bénéficient d’un soutien suffisant. Nous l’avons déjà constaté à plusieurs reprises à l’étranger, comme aux Pays-Bas, où des centres de vaccination ont été vandalisés. »

« La Belgique n’a pas connu de tels incidents, cependant, nous craignons qu’ils puissent se produire à l’avenir. Mais actuellement nous n’en sommes pas encore là, nous ne sommes pas encore au bord du gouffre. Si nous parvenons à nous concentrer davantage sur ce qui nous unit, au lieu de ce qui nous divise, nous ne devrions pas en arriver là. »